Pour la dernière ronde d'interclubs, l'équipe première recevait la plus forte équipe du groupe : nos sempiternels amis et concurrents d'Yffiniac, avec qui nous partageons déjà une longue histoire. Parmi les grandes heures de cette petite histoire, nous les avons coiffés au poteau pour l'accession en N3 il y a deux ans, et les avons affrontés 7 fois d'affilée en coupe 2000, dont 2 fois en finale nationale, lors de rencontres hautes en couleur.

Sauf que pour la première fois, ce n'est pas l'équipe B habituelle que nous affrontons, mais l'équipe première, celle qui évoluait en Nationale 2 la saison passée. Et pour bien montrer qu'ils ne nous sous-estiment plus, ils ont sorti le grand jeu, en alignant tous leurs meilleurs joueurs : la plus forte des 90 équipes alignées dans ce groupe cette année ! Avec une moyenne Elo de 1982 (2051 sans la féminine non classée), c'est de loin l'équipe la plus forte que nous ayons jamais rencontrée. Elle cumule 300 points Elo de plus que celle de Rennes Paul Bert que nous avons affrontée à la première ronde et qui nous a infligé notre plus grosse défaite cette année (4-1). Sur les 7 premiers échiquiers, chaque adversaire nous dépasse de 280 points Elo en moyenne ! Autant dire qu'à part au dernier échiquier, notre espérance de gain est voisine de zéro. Sur le papier...

Cela tombe bien, car pour une fois, nous jouons sans aucune pression. En effet, nous avons brillamment assuré notre maintien en N3 la veille, en empochant une quatrième victoire consécutive à Nantes. Et d'ailleurs, notre joueur vedette et tombeur d'Yffiniac, j'ai nommé Laurent (+3=2-2 et une perf à 2058 cette année, c'est dire s'il nous manque) est forfait pour cette ronde. Nous abordons donc ce match décomplexés, avec la satisfaction du devoir déjà accompli, le moral à bloc et la volonté de prendre des risques dans l'espoir d'un ou deux exploits individuels !

Au contraire, les Costarmoricains sont préoccupés. Certes, ils viennent de gagner 5 matchs d'affilée avec de très gros scores (4-1 contre Rennes Paul Bert, 6-0 contre Gorges champion en titre, 6-1 contre Nantes, 7-1 contre Guingamp). Malgré cela, Ils s'apprêtent à rater la montée en Nationale 2, pour avoir perdu leur tout premier match de la saison, contre Sautron, qui avait surpris en alignant 4 renforts imprévus. Seule une improbable défaite de Sautron contre Saint-Nazaire leur permettrait de gagner la première place et la promotion – à condition bien sûr de nous battre. Ce n'est du reste pas ce qui les préoccupe : ils ne croient pas un instant que nous puissions les inquiéter. D'ailleurs, pendant toute la première heure, ils vont passer le plus clair de leur temps à deviser en fumant sur la terrasse, pendant que nous suons sang et eau à ne pas saboter nos débuts de partie.

Bernard (#8), le bourreau de ces dames, a été appelé une nouvelle fois pour suppléer Laurent. Il exerce ses talents sur la compagne du capitaine adverse, qui réalise un début sérieux avant de se laisser prendre dans un piège éculé : une enfilade de la Dame et de la Tour, et de finir matée au 26ème coup. Conclusion logique d'une belle saison de Bernard, qui a partagé équitablement son temps entre son poste de titulaire de l'équipe B et suppléant de l'équipe A, où il s'est parfaitement fondu à l'équipe et réalisé sans faillir ses objectifs.

Yvon (#7) rencontre Michel Yché, vieille connaissance et ancien camarade de club à Guichen. Ils s'engagent dans une partie à la guichenaise : à un gambit douteux Yvon répond par une nouveauté absolue dès le 3ème coup, et la partie se retrouve rapidement en terra incognita. Fidèle à son sens tactique, Michel tente une attaque sur le roque tout à fait incongrue, sans jamais parvenir à récupérer son pion, ni un quelconque avantage positionnel. A son tour, Yvon gaspille son avantage en échangeant son bon fou contre le mauvais fou adverse, puis en envoyant ses Cavaliers chacun d'un côté et chacun leur tour, sans doute en vue d'une manœuvre d'encerclement mal coordonnée. Peut-il conserver son avantage matériel jusqu'en finale pour y valoriser son pion éloigné ?

Christophe (#6) est opposé à Corentin Sanvoisin, lui aussi une de nos vieilles connaissances. Comme presque tous les membres de l'équipe, c'est son plus fort adversaire cette année, l'occasion de briller. Christophe échange méthodiquement pièces et pions, sans rencontrer d'opposition très virulente, et se retrouve dès le 26ème coup dans une finale de Cavaliers et pions en apparence équilibrée, qu'il espère bien annuler.

Solenne (#5) ne nourrit aucun espoir contre le capitaine adverse Anthony Cléran, qui l'a récemment battue en coupe 2000. D'autant que celui-ci choisit un début qu'elle appréhende et qui l'amène à consommer la moitié de son temps sur les 10 premiers coups, pour obtenir une position de roques opposés aux chances réciproques. Elle consomme le reste de son temps sur les 5 coups suivants, à concevoir une attaque de pions menaçante, tandis qu'il reste une heure de pendule à son adversaire. Ses partenaires se prennent les mains en déplorant le retour des vieux démons. Mais c'est mal comprendre la nouvelle Solenne et la psychologie des time-addicts. Le bouffeur de pendules est un perfectionniste qui appréhende de faire des mauvais choix alors qu'il lui reste encore du temps pour les éviter. Mais lorsqu'il ne lui reste plus de temps, il est libéré de ce dilemme. Il utilise au mieux le temps de son adversaire pour faire ses choix, et profite de la montée d'adrénaline induite par la pression du temps pour réfléchir mieux et plus vite. Son stress diminue car il a moins de choix, à mesure qu'augmente le stress de l'adversaire qui voit son temps diminuer en continu sans plus de pause. Anthony commet deux fautes consécutives qui donne à Solenne une forte attaque. Elle sacrifie une pièce que son adversaire commet l'erreur de refuser, et au 20ème coup il ne lui reste plus que l'incrément, contre 20 minutes à son adversaire, sur quoi elle lui propose la nulle dans une position complètement gagnante !

Mickaël (#4) affronte lui aussi un joueur classé 300 points au-dessus. Il commet une erreur stratégique en sortie d'ouverture, et son adversaire l'exploite trois coups plus tard par une séquence tactique qui ne laisse aucun espoir. Pour autant, Mickaël n'a rien à regretter de son week-end puisque c'est lui qui a apporté le point le plus important de l'année : celui du match nul contre Nantes, synonyme de maintien !

Hervé (#3), face à une opposition similaire, se laisse lui aussi tenter par un coup de pion hasardeux en sortie d'ouverture. Il abandonne ensuite la qualité pour éviter d'échanger son Fou de fianchetto chargé de la garde royale. Son adversaire n'a plus qu'à fabriquer un pion passé et simplifier dans une finale gagnante.

Brendan (#2) a pour objectif de gagner. Ca tombe bien, son adversaire Adrien Capitaine ne le dépasse que de 140 points, pas de quoi l'impressionner, et lui facilite la tâche en jouant le gambit letton. Brendan s'assure l'initiative en rendant le pion et échangeant les Dames, tandis que l'adversaire termine son développement il installe sa Tour en 7ème rangée, et pendant que l'adversaire est occupé à la chasser il croque un pion, mais offre sans raison la paire de Fous. Saura-t-il conserver son avantage matériel sur un échiquier livré au ballet des pièces mineures ?

Xavier (#1) accuse le plus lourd handicap Elo avec les Noirs contre Marc Grill, classé 2201 ! Requinqué par sa première victoire de la saison obtenue la veille, le capitaine bettonais remet en jeu pour la sixième fois son invincibilité emblématique au premier échiquier, pour un défi encore plus improbable qu'à Lesneven ! Et comme c'est la dernière de la saison, il décide de jouer pour le gain et rentre dans une ses variantes fétiches, totalement déjantée, où une seule chose est sûre : la position est tellement aiguë que les deux parties vont se tromper à un moment ou un autre ! Les Blancs cherchent à promouvoir leur pion passé, tandis que les Noirs visent une attaque de mat sur le Roi resté exposé. Très bien préparé, l'adversaire jongle avec les interversions de coups, et Xavier n'est plus très sûr de ses souvenirs. Il bascule alors dans une variante secondaire qui déstabilise l'adversaire. Malgré une analyse précise, il choisit un coup inférieur qui échange deux paires de pièces et aplanit la position. Xavier offre alors un pion pour maintenir la tension et ouvrir les lignes vers le Roi. Au lieu de saisir l'opportunité, son adversaire joue un coup de Roi douteux pour se mettre à l'abri. Mais Xavier trouve la réfutation qui lui a échappé : un mouvement en zigzag de la Dame qui se transfère en trois coups vers l'angle opposé de l'échiquier où elle menace dangereusement le Roi et les deux Fous scotchés dans leurs starting-blocks, puis s'empare du pion passé. C'est au tour des Blancs de craindre pour leur sécurité : ils rendent le pion et forcent l'échange des Dames, mais se retrouvent dans une finale légèrement inférieure, ou la paire de Fous ne compense pas le défaut d'activité : Roi et Fous sont maintenus passifs par l'activité maximale de la Tour et du Fou noirs. La Tour blanche parvient à se dégager et à partir à l'aventure, mais les Noirs peuvent alors forcer la répétition de coups, et au bout de 20 coups de manœuvres les Blancs se résignent à la nulle. Nouvel exploit de Xavier, toujours invaincu en interclubs au premier échiquier, qu'il a tenu 5 fois cette année, et qui pour la troisième année consécutive, n'aura perdu qu'une seule partie d'interclubs en jouant tous les matchs.

Avec un score de 2-1 et quatre parties à jouer, pour la plupart mal engagées, les derniers Yffiniacais sont maintenant studieux et concentrés : plus question de batifoler sur la terrasse ! Yvon laisse une Tour à la merci d'une attaque double avant le contrôle de temps. Yvon a manqué d'assurance pour clore en beauté une année marquée par une séquence exceptionnelle de 6 victoires en équipe, dont 4 en interclubs, où il a fait exploser son talent de miniaturiste à la face de ses adversaires !

Brendan active ses Cavaliers et gagne un deuxième pion qui lui garantit une finale sans histoire. Nouvelle perf pour Brendan, qui termine la saison d'interclubs sur 4 victoires consécutives et une perf de 2092 !

Le score est alors de 3-2 pour Yffiniac et le match nul ne paraît plus hors de portée ! Christophe fait face à l'avancée des pions adverses qui lui pose des problèmes défensifs de plus en plus ardus. Il résiste jusqu'au 50ème coup et croit pouvoir valoriser son pion passé, mais finit par faire un mauvais choix qui offre un pion supplémentaire décisif, après un dernier piège que son adversaire esquive avec adresse. Christophe a lui aussi réalisé une année solide en apportant 4 victoires.

Avec 20 minutes contre une, croyant sans doute Solenne incapable d'aller au bout, Anthony Cléran a refusé la nulle. Dans la foulée, elle empoche la qualité, mais dans la précipitation elle se trompe et rend une pièce entière. Le temps que l'adversaire s'en saisisse, elle met à profit ses deux tours et un pion passé pour créer de nouvelles menaces sur le Roi dépouillé. Un échec paré négligemment, et c'est une petite combinaison à sacrifice qui regagne la pièce et propulse Solenne dans une finale Tour contre Cavalier avec pions qu'elle va conduire de main de maître. Alors que plusieurs de ses partenaires croient la finale nulle, et que le rajout de temps n'est plus qu'un souvenir, elle exploite impeccablement le potentiel de la Tour pour pourchasser le Cavalier et forcer l'adversaire à lui concéder un pion et la partie. Avec cette 3ème victoire consécutive, Solenne efface d'une manière éclatante sa baisse de forme hivernale. Pour la dernière partie du dernier match, elle réalise en effet la plus grosse performance individuelle de l'équipe cette saison, en venant à bout d'un adversaire classé plus de 300 points au-dessus d'elle : la féminine de la plus faible équipe du groupe, opposée au capitaine de la plus forte équipe !

Yffiniac aura tremblé pour arracher cette victoire dans un match où Betton a pleinement justifié sa place à ce niveau. Alors que se mettent en place les préparatifs du pot qui va fêter le maintien des Bettonais, auquel nous avons logiquement convié nos amis d'Yffiniac, ceux-ci s'interrogent sur ce qu'ils fêtent : leur équipe seconde a perdu et son maintien n'est pas assuré ; l'équipe de Sautron a elle aussi sorti tous ses forts joueurs pour assurer sa promotion.

Pendant que Xavier verse le cabernet d'anjou et qu'Hervé tartine la terrine, Christophe profite de l'occasion pour retrouver Gildas, le papa de Brendan, perdu de vue depuis près de 30 ans et avec qui il échange quelques scoops récents en matière d'histoire arthurienne. Les nouvelles les plus improbables arrivent : Sautron a miraculeusement perdu ses moyens contre Saint-Nazaire, et Guingamp malgré une équipe diminuée, l'a emporté on ne sait comment contre Lesneven. Yffiniac retrouve donc la N2 et son équipe B reste en N3 ! Les réjouissances peuvent battre leur plein, d'autant que Damien vient annoncer le bon match nul réussi par l'équipe B contre Domloup, deuxième du groupe, grâce aux victoires de Ronan et Yann, qui avaient manqué de réussite jusqu'ici. L'équipe B termine à la 6ème place, avec 2 victoires 1 nul et une différence de parties positives. A 3 parties près, c'est elle qui terminait deuxième du groupe ! Pas de menace de relégation en régionale, tirée vers le haut par l'ouverture d'une nouvelle N4.

C'est le moment d'un premier bilan de cette saison en Nationale 3 :

  • Betton termine à la 5ème place (+2 par rapport à la saison dernière) avec 18 points (+1), soit 4 victoires et un match nul, et une différence de parties à 0 (+1). Avec 18 nulles (+7), nous avons mieux maîtrisé nos parties.

  • Dans un groupe plus fort que l'année passée, où la moyenne Elo de nos adversaires s'est établie à 1843 (+35), nous avons réussi à hausser notre niveau de jeu en conservant les 8 mêmes titulaires, qui ont réalisé en moyenne une perf de 1857 (+52 !). Avec une moyenne Elo entre 1743 et 1793, nous avions pourtant une des 3 plus faibles équipes du groupe.

  • Une fois de plus, nous sommes l'équipe qui a joué avec le plus petit nombre de joueurs (9), les titulaires n'ayant manqué au total que 3 rencontres. Notre équipe a aussi été la seule à afficher moins de 300 points d'écart entre les 8 joueurs titulaires.

  • Nous avons décidé du champion du groupe, en battant le favori Sautron (4-3) et en tenant en respect Yffiniac 1 (3-4)

  • Après un début difficile, marqué surtout par une contre-perf contre Yffiniac 2, nous avons su nous reprendre en enchaînant 1 match nul et 4 victoires et en assurant notre maintien une ronde avant la fin.

  • Toujours aussi mobilisés et combatifs, nous avons progressé cette année sur le plan de la préparation et de la solidarité, avec un esprit d'équipe.

  • Toutes les conditions sont donc réunies pour aborder avec sérénité et enthousiasme une troisième saison en Nationale 3 !