Samedi 5 avril. C'est le week-end décisif pour la plus vaste compétition échiquéenne au monde, les interclubs français. Plus de mille équipes amateurs, représentées par plus de dix mille joueurs, vont participer à cette empoignade finale qui décidera du résultat de leur saison sportive. Toutes sont paralysées par la pression. Toutes ? Non. Au fin fond de l'Armorique, quelques irréductibles Gaulois, cernés par l'ennemi, résistent encore et toujours à la relégation.

En vertu des règles édictées par les arbitres de Rome, leur huitième épreuve, qui les envoie en visite à Nantes, va sceller leur destin pour la future saison. S'ils parviennent à tenir en échec les redoutables Namnètes, il leur sera permis de concourir de nouveau l'année prochaine aux Jeux en 3ème division nationale ; mais s'ils échouent, ils seront livrés aux lions du cirque.

Et il en faudrait bien plus pour paralyser sous la pression nos intrépides guerriers, qui restent sur trois victoires successives face à des tribus surarmées. C'est pourtant un combat acharné qui les attend, puisque leurs ennemis y jouent aussi leur survie après une saison négligente.

Conduits de bon matin sur le champ de bataille dans la carriole du chef du village, gavés de potion magique et de conseils de sagesse par leur druide-capitaine, nos héros s'alignent par ordre de force, de part et d'autre.

Au premier poste de combat, c'est bien sûr l'homme fort du village, Obélix, qui affronte le champion adverse. Adepte de la stratégie qui consiste à foncer dans le tas, Obélix, qui a les Blancs, envoie sa Dame au milieu de la bataille dès le 7ème coup pour enfoncer la défense adverse. Sournois, l'ennemi installe une défense en quinconce contre laquelle s'écrasent les assauts d'Obélix, et son Roi s'échappe de l'autre côté. Obélix replie ses forces et se met en devoir d'installer une batterie sur l'autre aile. Aura-t-il plus de succès du côté gauche ?

Au second échiquier vient le plus intelligent des villageois, le petit mais valeureux Astérix, contre le jeune capitaine Namnète. Avec les Blancs, celui-ci lui sort précisément la variante dont Astérix a longuement devisé avec le druide pendant le voyage, pour en conclure qu'elle est à l'avantage des Blancs. Cet homme-là serait-il un devin ? Quelle sombre force anime ces Namnètes ?

Au troisième échiquier, la sagesse de Panoramix est son arme maîtresse pour affronter le chef du village adverse. Celui-ci, sans doute distrait, se trompe de pion dès le deuxième coup. Notre druide occupe le centre, développe méthodiquement ses forces, installe son artillerie lourde, empêche le Roi adverse de se mettre à l'abri et enferme ses défenseurs derrière leurs murs de pions. Mais il semble s'assoupir, réfléchit longuement et le sable s'écoule inexorablement. Aura-t-il le temps de conclure son assaut, ou va-t-il succomber à quelque faux pas ?

Au quatrième échiquier, le maître d'école Assurancetourix compte sur sa science des variantes et des finales (si ses élèves ne les goûtent pas toujours, au moins lui les maîtrise à fond) pour défaire un guerrier d'expérience, ancien champion, et son inséparable compagnon, un cousin d'Idéfix. Il connaît la musique : il ne se laisse pas impressionner par l'inhabituel début adverse, échange rapidement les pièces pour atteindre une finale de Tours avec un pion de plus, mais doublé, qui semble vouée immanquablement à la nullité. Dispose-t-il de quelque arcane qui lui permettra d'en sortir vainqueur ?

Au cinquième échiquier, le chef du village, Abraracourcix, est descendu de son pavois pour s'expliquer d'homme à homme avec son adversaire. Abraracourcix est un homme d'expérience, mais surtout d'action : après un prudent round d'observation, il expédie résolument ses troupes à l'assaut du roque adverse. Mais c'est aussi un chef, soucieux de mobiliser toutes ses troupes. C'est ainsi que, avisant un soldat blessé et resté en arrière dans l'assaut, il change de plan et décide de sauver coûte que coûte le soldat Ryan ! Pour cela, il va devoir réaffecter ses forces et donner à l'ennemi une chance de recomposer les siennes. Parviendra-t-il à préserver son offensive ?

Au sixième échiquier, le costaud Cétautomatix, adepte du fracas des armes et disciple de la stratégie vulgarisée par Obélix, engage très tôt sa Dame dans la bagarre. Malheureusement, ses autres pièces suivent en ordre dispersé, et la protection royale n'est pas la première priorité. S'ensuit un combat incertain où il récupère une pièce contre quelques pions. Saura-t-il échapper aux menaces adverses et valoriser cet avantage numérique ?

Au septième échiquier, le doyen du village, le toujours vert Agecanonix, est engagé dans le traditionnel combat des arbitres. Le combat est tendu, mais équilibré. L'ancêtre, vigoureux mais lent, doit toutefois faire face à de gros problèmes de sablier. Pourra-t-il atteindre le contrôle de temps sans sacrifier son intégrité matérielle ?

Au huitième échiquier, c'est le traditionnel combat de femmes, feutré mais impitoyable, fidèle à sa réputation. La fatale Falbala, que la fréquentation de ses camarades villageois a rompu aux techniques de combat rapproché, exploite méthodiquement les erreurs de son adversaire moins coriace et lui fait toucher terre sans tarder. C'est elle qui remporte le premier point !

Le devin qu'affronte Astérix montre les limites de ses pouvoirs, car aussitôt atteint le dernier coup de la variante débattue, il se jette sur le pion laissé à l'abandon par le rusé Astérix. Mais c'est un fruit empoisonné, qui permet à notre guerrier de le prendre à revers par une double menace qui gagne une pièce et bientôt le combat. 2-0 pour nos Gaulois !

Moins à son aise pour défendre que pour attaquer, Abraracourcix s'empêtre dans ses mouvements et se laisse envahir sur l'aile gauche où s'infiltre un pion candidat. Réduction du score !

Panoramix laisse son adversaire roquer, crée une brèche dans la défense, et lance une attaque aussi violente que soudaine. Un cavalier se sacrifie dans la mêlée des gardes, que la Dame finit de balayer ; abandonné par ses défenseurs, le Roi succombe à un mat rapide.

A 3-1, l'échéance est proche, d'autant que le barde ne peut plus perdre sa finale; il ne reste donc qu'un demi-point à trouver pour décrocher la timbale !

L'ennemi d'Obélix échange les Dames et la situation devient confuse, tours et cavaliers jouant à cache-cache derrière des barricades de pions. A ce jeu, c'est la stratégie sournoise qui va prendre le dessus. D'autant qu'Obélix se rappelle subitement qu'il a un menhir à livrer chez les Diablinthes avant la tombée de la nuit, et se retrouve obligé d'expédier sa finale !

C'est d'Assurancetourix qui va apporter le demi-point décisif. Menacé par l'avancée des pions, l'ami des bêtes craque et se laisse enserrer dans un réseau de mat. Score 4-2 et objectif atteint pour les Bettonensis !

Pour Agecanonix, tout vient à point à qui sait attendre. Il passe tranquillement son contrôle de temps avec une position agréable, et propose à son homologue de conclure en gentilshommes le partage du point. Il assure ainsi la victoire qui libère son équipe de tout danger pour la dernière ronde.

Cetautomatix, qui sent déjà les effluves du banquet qui s'annonce, propose de conclure de même ; mais son adversaire ne l'entend pas de cette oreille, et finit par avoir raison de sa résistance et de son appétit. Score final 4 à 3.

C'est ainsi que les redoutables Nantais sont vaincus et voués aux gémonies par les intrépides Bettonais, qui inscrivent ainsi leur quatrième victoire consécutive ! Une remontée inouïe après un début de saison difficile. Des festivités se préparent pour le lendemain soir. Bonemine s'active à préparer dare-dare quelques terrines de sanglier pour nos héros affamés, tandis que Panoramix, maître des potions, est chargé de dégotter quelques amphores d'hydromel à même de les désaltérer.